HOMMAGE à YOGASWAMI Par Susunaga Weeraperuma

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    HOMMAGE A YOGASWAMI par Susunaga

    Weeraperuma

    Extrait du blog du site http://www.revue3emillenaire.com/

    Rcit dune entrevue avec un sage parvenu lillumination spirituelle

    Traduit de langlais par Louis POUILLIART et Ren FOUERE.

    (dition Le courrier du Livre 1975)

    Mme de son vivant, Yogaswmi avait une rputation considrable, Ceylan et danslInde, en tant que sage vraiment parvenu lillumination spirituelle. Ses dvots ont t

    naturellement enclins exagrer ses ralisations spirituelles. Il avait t salu comme le

    plus grand voyant que le monde ait connu depuis Shankara. Il y avait des sceptiques qui

    le mettaient lcart, comme ntant quun autre yogi ayant des pouvoirs psychiques.Mais, mme ceux qui se demandaient sil avait t fondamentalement transform dans le

    sens spirituel, admettaient cependant volontiers quil avait dextraordinaires pouvoirs

    psychiques. Yogaswmi avait la rputation davoir possd des dons remarquables deseconde vue. On savait quil pouvait aussi disparatre dun endroit et reparatre

    plusieurs endroits en mme temps. Trois de ses dvots prtendaient lavoir rencontr

    chacun au mme moment dans des lieux aussi loigns lun de lautre que Jaffna(Ceylan), Madras et Londres. Lun de ses amis intimes se rappelait des incidents qui

    dmontraient que tout ce que dsirait Yogaswmi se ralisait immdiatement. Par

    exemple, cette personne avait accompagn Yogaswmi pendant une longue promenade pied de plusieurs milles dans la campagne travers des rizires. Ayant prouv les

    tourments de la faim et de la fatigue, Yogaswmi avait formul ngligemment le souhaitquil y et une voiture pour retourner la ville. A peine eut-il exprim ce souhait que

    plusieurs voitures apparurent sur les lieux. Les conducteurs de ces voitures demandrenttous Yogaswmi de monter dans leur vhicule et se disputrent le privilge dtre de

    quelque assistance lgard dun saint homme. En cette circonstance, Yogaswmi avait

    lev les bras au ciel et stait cri quil tait vraiment dangereux de faire des souhaits !On mavait dit que les personnes libres spirituellement taient incapables de dsirer

    dans le sens psychologique du terme, leur ego stant dissous, mais que leurs souhaits ne

    pouvaient avoir trait qu des besoins purement physiques.

    Une autre fois, la fin dune des rares visites de Yogaswmi Colombo, une grande

    foule dadmirateurs avait envahi une gare de chemins de fer de cette ville pour assister son dpart. Quelques dvots chantrent des hymnes en sanscrit et en tamil tandis que

    certains autres lui offraient des guirlandes de fleurs. Il se faisait tard et lun des amis de

    Yogaswmi avait attir son attention sur la ncessit darriver temps pour prendre letrain. Ne vous tracassez pas, rpondit Yogaswmi dun ton assur, le train ne pourra pas

    partir sans moi. Ce soir-l, en effet, la locomotive tomba en panne et le train fut

    incapable de partir lheure exacte. Aprs avoir salu tous ses amis sans se presser,

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    Yogaswmi se dcida enfin entrer dans son compartiment et, sur ce, le train commena

    dmarrer.

    Quoique jeusse entendu parler de Yogaswmi, il y avait plusieurs raisons pour lesquelles

    je navais jamais ressenti une impulsion irrsistible pour aller lui rendre visite, jusquau

    moment de mon entrevue avec lui. Dabord, cette poque, je navais pas les moyens depayer le voyage en chemin de fer jusqu Jaffna, qui se trouve lextrme nord de Ceylan

    ; ensuite, il me semblait alors, comme maintenant, que lon doit dcouvrir Dieu ou la

    Vrit par soi-mme et quaucun intermdiaire ne pouvait rellement nous aider cetgard ; enfin, Yogaswmi renvoyait la plupart de ses visiteurs.

    Beaucoup de personnes considraient malheureusement Yogaswmi comme un simplediseur de bonne aventure ayant le don de faire des prvisions exactes. A une certaine

    poque, Yogaswmi eut un flot de visiteurs chaque jour, de laube au crpuscule. Ils

    venaient le voir pour lui soumettre diffrents problmes dont certains taient personnels.Ceux qui taient assez privilgis pour tre reus par lui se considraient habituellement

    comme doublement bnis. Quelques-uns de ceux qui taient rprimands par Yogaswmise considraient comme chtis spirituellement. Quand Yogaswmi souhaitait viter unvisiteur, on savait quil pouvait disparatre ou se rendre invisible pendant de longues

    priodes de temps. Une explication intressante de la conduite de Yogaswmi est la

    suivante.

    Les esprits des tres humains qui sont en esclavage sont dans un tat danimation

    cest--dire anims par le karma dans le sens hindou-bouddhiste du terme. Ce karma nest pas autre chose que la somme totale des innombrables influences

    psychologiques qui ont conditionn lesprit et qui, en consquence, font obstacle la

    libration. Ces facteurs psychologiques sunissent pour crer lillusion du je ou de

    lego. Les personnes libres, par contre, prouvent un tat de pure conscience qui est d ce quelles sont alles au-del de cette coquille du moi. Il serait correct de dcrire ltat

    de libration comme un tat de non-animation, puisquun esprit libr ne serait pas anim

    par le karma . Comme un esprit libr est par consquent comparable la matireinerte, il pourrait tre dot dune force danimation ou dimpulsion par un esprit non

    libr qui serait ncessairement caractris par lanimation ou le karma . En outre, un

    esprit libr a lavantage dagir comme un miroir dans lequel un esprit non libr peut sevoir lui-mme tel quil est rellement. Or, si Yogaswmi a paru manquer dune

    personnalit stable, ce fut probablement parce que sa personnalit acqurait

    temporairement les caractristiques de celles de ses visiteurs. Il nest donc pas surprenantque des personnes fires aient trouv invariablement que Yogaswmi se conduisait

    envers elles dune manire arrogante. A ceux qui taient obsds par des peurs, lattitude

    de Yogaswmi semblait timide, craintive. Un sannyasi (anachorte) du sud de lInde avait

    rcit Yogaswmi une strophe de la Bhagavad Gt. Sur ce, Yogaswmi avait rpt lastrophe avec des remaniements et dhabiles calembours sur certains mots de sorte que les

    vers sacrs acquraient une signification rotique.

    Yogaswmi ne pouvait pas sempcher de faire cela car il ragissait simplement aux

    images sexuelles caches dans linconscient de cet anachorte. En consquence, cet

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    ascte, comme beaucoup dautres visiteurs de Yogaswmi, fut non seulement irrit mais

    gn. En un sens, Yogaswmi tait un matre du Zen qui veillait les gens de leur

    sommeil psychologique en leur donnant un choc sans le vouloir dlibrment. Les gensde Jaffna considraient Yogaswmi avec un curieux mlange de vnration, daffection et

    de peur. Quelques-uns de ses ardents admirateurs semblaient plus le craindre que laimer.

    Pour tre reu par Yogaswmi il tait ncessaire de lapprocher sans aucun motif secret,quel quil pt tre. Ce pur tat dtre, sans motif, semblait linaccessible, le znith de la

    spiritualit : en effet, si seulement on pouvait atteindre cet tat de conscience purifie ne

    serait-on pas soi-mme un Yogaswmi ? Or, le manque de confiance en ma capacit

    daffronter Yogaswmi sans aucun motif reconnaissable fut aussi une importante raisonqui ma fait refrner mon dsir de le voir.

    Javais parcouru une grande distance en marchant le long du littoral Colombo. Les

    pcheurs poussaient htivement leurs bateaux sur le sable avant le coucher du soleil

    Dehiwala. Leurs cris et leurs paniers de poissons troublaient la srnit de cette soiretranquille. Aussi je mloignai deux et je choisis un endroit isol sur un rocher qui faisait

    face la mer Bambalapitiya. Le ciel devenait graduellement illumin par toutes sortesde couleurs en raison du soleil couchant. Le soir tait agrablement frais et la brise

    apaisante venant du large avait sur les nerfs un effet vivifiant. Le mugissement incessantde la mer et la vue des vagues se brisant contre les rochers semblaient un sujet appropri

    pour la contemplation. Ces vagues inlassables ont d se jeter contre ces rocs pendant des

    millions dannes mais les rocs sont rests inbranlables. Lenqute spirituelle delhomme travers les ges nest-elle pas semblable cela ? Lhomme a perptuellement

    cherch et lutt pour trouver la Vrit ou Dieu, qui apparemment sont rests inconnus et

    mystrieux. La mer est comparable la conscience universelle de laquelle jaillissent, tels

    des vagues, de petits egos. Ces vagues se jettent contre la Vrit et se dissolvent, maisseulement pour tre transformes nouveau en dautres vagues. Telles taient mes

    penses quand soudain un homme trs basan et dun certain ge sapprocha de moi et

    insista presque pour que je lcoute. Je fus plutt dconcert. Son apparence tait quelquepeu agressive, mais son tat desprit tait dans lensemble bienveillant et sympathique,

    comme je men aperus bientt. Jeune homme, me dit-il, pourquoi perdre votre temps

    dans loisivet ? Notre prise de contact ne tarda pas donner naissance une chaudeamiti. Cet homme se prsenta comme tant un fonctionnaire retrait qui vivait

    Tellipallai (un village prs de Jaffna) avec sa femme et sa famille. Pendant les minutes o

    je fis sa connaissance, il me parla de Yogaswmi avec un grand enthousiasme. Il est

    scandaleux, dit-il, que vous nayez pas pris la peine de rendre visite notre sage qui vitdans cette le. Ce monsieur moffrit trs obligeamment de payer mon voyage en train

    jusqu Jaffna et minvita aussi demeurer chez lui aussi longtemps que je le dsirerais.

    Nous passmes ensemble Jaffna plusieurs semaines fertiles en vnements. Il meconduisit tous les fameux temples hindous qui se trouvent dans cette partie du pays, y

    compris le temple Nallur. Etant un pieu hindou, il croyait sincrement quil tait

    ncessaire de me purifier pour me prparer ma future visite Yogaswmi. Chaquematin avant le lever du soleil sa femme rcitait des hymnes tirs des Ecritures hindoues.

    Frquemment je devais mhabiller avec un dhoti blanc, de la pte de bois de santal et

    de la cendre sacre tant appliques gnreusement sur mon corps, ce qui tait une

    condition ncessaire pour pntrer dans certains temples. Je ne voyais pas trs bien la

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    signification religieuse ou spirituelle de ces rites, mais peut-tre ajoutaient-ils une

    certaine couleur des circonstances qui eussent t autrement monotones et solennelles.

    Les semaines passaient et, bien que prenant beaucoup de plaisir lhospitalit qui mtaitgnreusement offerte, je commenais nanmoins me sentir quelque peu impatient

    lide que nous navions pas encore rendu visite Yogaswmi. Je me demandais mme si

    mon ami ntait pas en train dessayer subtilement de me convertir la manire de vivredes Hindous. En tout cas, un tel programme semblait sans objet parce que javais dj

    une certaine sympathie pour la philosophie Vednta. Par la suite je me suis rendu compte

    que mon ami tait sincre dans sa conviction quune priode prliminaire de prparation

    tait absolument indispensable avant davoir une entrevue avec Yogaswmi. Un moisstait presque coul et je dsirais vivement retourner chez moi Colombo. Comme je

    perdais rapidement mon intrt ancien pour Yogaswmi, je dcidai finalement de quitter

    Jaffna sans lui rendre visite. Lorsque je fis part de cette dcision mon ami, il rayonnadun air triomphant. Ah ! je pense que le moment convenable est arriv ! Maintenant

    que vous perdez votre intrt pour lui, vous tes dans ltat de prparation qui convient

    pour le voir. Nous irons demain. Aprs quil eut parl, je fus convaincu pour la

    premire fois de lobjet rel et profond de cette longue priode dattente et deprparation. Nous dcidmes de rencontrer Yogaswmi le lendemain matin au lever du

    soleil, ce quon pensait tre le meilleur moment pour une telle rencontre.

    Ctait un matin frais et paisible, sauf que lon entendait les bruits crpitants provoqus

    par la douce brise balanant les grands et gracieux borasses. Nous marchionssilencieusement sur les routes troites et poussireuses. La ville tait encore endormie.

    Yogaswmi vivait dans une toute petite hutte qui avait t construite spcialement pour

    lui dans le jardin dune maison de la ville de Jaffna. Cette hutte avait un toit de chaume et

    tait dans lensemble caractrise par la simplicit dune demeure paysanne.

    Yogaswmi apparut exactement tel que je lavais imagin. Il paraissait trs vieux et frle.Il tait de taille moyenne et ses longs cheveux gris lui tombaient sur les paules. Lorsque

    nous apermes Yogaswmi, il balayait le jardin avec un long balai. Il marcha lentement

    vers nous et ouvrit les portes. Je suis en train de faire la besogne dun coolie (homme de

    peine), dit-il. Pourquoi tes-vous venus voir un coolie ? Il rit sous cape avec un clairde malice dans les yeux. Je remarquai quil sexprimait dans un bon anglais avec un

    accent impeccable. Comme il y avait habituellement un sens sotrique toutes ses

    dclarations, jinterprtai ses mots ainsi : Je suis un nettoyeur spirituel des treshumains. Vraiment, avez-vous besoin dtre purifis ? Il nous fit gentiment signe

    dentrer dans sa hutte.

    Yogaswmi sassit les jambes croises sur une estrade lgrement leve et nous nous

    assmes sur le sol en face de lui. Nous navions pas encore prononc un seul mot. Ce

    matin-l nous parlmes peine car il fit lui seul toute la conversation. Il ntait pasncessaire de lui parler, car il suffisait que lon pense quelque chose et il rpondait

    instantanment. Je neus pas exprimer mes questions avec des mots car Yogaswmi fut

    tout le temps inform de mes penses. Aprs que nous nous fmes assis confortablementsur le sol, Yogaswmi ferma les yeux et resta immobile pendant presque une demi-heure.

    Il parut vivre pendant ce temps dans une autre dimension de son tre. On pouvait se

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    demander si la srnit exprime par son visage tait imputable la joie de sa mditation

    intrieure.

    Dormait-il ou se reposait-il ? Essayait-il de sonder nos esprits ? Mon ami indiqua avec un

    sourire mu que nous avions vraiment de la chance davoir t reus par lui.

    Soudainement Yogaswmi ouvrit les yeux. Ces yeux lumineux semblrent dissiperlobscurit de la hutte entire. Son regard tait aussi doux quil tait lumineux la

    douceur de la compassion. Je commenais ressentir la faim et la fatigue et aussitt

    Yogaswmi demanda : Que voulez-vous prendre comme petit djeuner ? . A cemoment jaurais accept tout ce que lon maurait offert, mais je pensai aux idli

    (gteaux de riz) et des bananes, qui sont Jaffna des articles populaires dalimentation.

    En un clair un tranger apparut dans la hutte, nous salua respectueusement et nous offritces aliments sur un plateau quil tenait. Un peu plus tard mon ami dsira du caf, mais

    avant quil ait pu exprimer sa demande avec des mots le mme homme rentra en scne et

    nous servit du caf. Aprs le petit djeuner Yogaswmi nous demanda de ne pas jeter les peaux de bananes qui taient destines la vache. Il parla haute voix la vache qui

    broutait dans le jardin. La vache, maladroitement, rentra droit dans la hutte. Il lui donna manger les peaux de bananes. Elle lui lcha la main avec reconnaissance et essaya de

    sasseoir sur le sol. Yogaswmi lui tendit la dernire peau de banane qui restait et lui dit : Maintenant laisse-nous tranquilles. Ne nous drange pas, Valli. Jai quelques visiteurs.

    La vache inclina la tte en signe dobissance et excuta fidlement ses instructions.

    Aprs que la vache nous eut quitts, Yogaswmi ferma les yeux nouveau et sembla seperdre encore une fois dans un monde lui. Jtais vraiment curieux de savoir ce que

    Yogaswmi faisait exactement lorsquil lui arrivait de fermer les yeux. Je me demandais

    sil tait en train de mditer. Ctait un moment appropri pour aborder ce sujet, mais

    avant que jaie pu poser des questions il se mit soudain parler. Regardez ces arbres-l.Les arbres mditent. La mditation cest le silence. Si vous vous rendiez compte que vous

    ne savez vraiment rien, alors vous seriez vritablement en train de mditer. Une telle

    sincrit est le terrain qui convient au silence. Le silence est mditation. Yogaswmi sepencha en avant avec passion : Vous devez tre simple. Vous devez tre compltement

    nu en votre conscience. Quand vous vous tes rduit nant quand votre moi a

    disparu quand vous tes devenu rien, alors vous tes vous-mme Dieu. Lhomme quinest rien connat Dieu, car Dieu nest rien. Rien cest tout. Parce que je ne suis rien,

    voyez-vous, parce que je suis un mendiant je possde toutes choses. Ainsi rien signifie

    tout. Vous comprenez ?

    Parlez-nous de cet tat de nant , demanda mon ami dans une attente anxieuse.

    Cela signifie que vous ne dsirez vraiment rien. Cela signifie que vous pouvez

    honntement dire que vous ne savez rien. Cela signifie aussi que vous ntes pas intress

    faire quoi que ce soit au sujet de cet tat de nant.

    Je mditai, me demandant ce quil voulait dire par ne rien savoir ltat d tre pur

    en contraste avec le devenir ?

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    Vous pensez que vous savez mais en fait vous tes ignorant. Quand vous voyez que

    vous ne savez rien au sujet de vous-mme, alors vous tes vous-mme Dieu.

    Yogaswmi faisait frquemment allusion cet tat de silence. Il en parlait comme si

    ctait sa vie mme. Pour celui qui na pas fait lexprience de cet tat de samdhi ,

    toute description qui en est faite restera ncessairement une abstraction. En sa prsenceon entrevoyait dune faon fugitive cette flicit. Quant savoir si la conscience de

    Yogaswmi stendait jusqu inclure celles des personnes qui se trouvaient proximit

    immdiate de lui, ou si son sentiment de joie inexprimable ou de paisible flicit ou de samdhi reposait sur une illusion personnelle, cest une question qui ne peut pas tre

    facilement tranche. Presque tout ce que disait Yogaswmi semblait si tonnamment

    simple quon ne pouvait sempcher de devenir temporairement oublieux desimplications pratiques de ses dclarations. Aussi, pendant un moment, comme pour

    affirmer lindpendance de mon esprit, jessayai dexaminer mentalement avec minutie

    ses dclarations sans poser de questions. Cet tat de silence est-il luvre de la grcedivine ? Est-il possible de faire natre cet tat en soi-mme ? Passe-t-on par cet tat

    accidentellement sans aucun effort de volont ? Est-ce que toute tentative pour produirece silence ne rendrait pas invitablement lego actif ? Yogaswmi, qui tait videmment

    conscient de ces doutes et de ces difficults, vint mon secours avec une remarquesavoureuse et inoubliable. Il y a silence quand vous vous rendez compte quil ny a rien

    gagner et rien perdre.

    Notre conversation, qui prenait une tournure intressante, fut interrompue par un homme

    qui entra dans la hutte. Cet homme tait apparemment un ardent dvot de Yogaswmi. Il

    alluma un cierge; plaa quelques fleurs de jasmin sur le sol et finalement se prosterna surle sol de ciment froid avant dembrasser les pieds de Yogaswmi. Espce didiot, cria

    Yogaswmi, ceci nest pas un autel ! Me rendez-vous un culte ou est-ce vous-mme que

    vous adorez ? Pourquoi adorer quelquun dautre ? Le pauvre homme se retira dans uncoin de la hutte avec respect et en tremblant. Pensez-vous, poursuivit Yogaswmi, que

    vous pouvez trouver Dieu en adorant autrui ? Vous faites des choses si sottes, si stupides,

    telles quoffrir des fleurs et allumer des cierges ! Pensez-vous que vous pouvez trouver

    Dieu en lachetant par des prsents ?

    Dans des situations de ce genre, les critiques de Yogaswmi ne paraissaient pas tirer leurorigine de son rle pdagogique de gourou ou dinstructeur spirituel comme beaucoup de

    ses disciples lauraient probablement suppos, mais elles taient plutt les remarques

    fortuites, accidentelles de quelquun qui tait profondment mu par la folie humaine. Eneffet, Yogaswmi dcourageait lenregistrement de ses paroles, quil assimilait des

    choses sans valeur ne mritant pas dtre conserves. Apparemment, il considrait que la

    vracit dune dclaration nonce spontanment dpendait des circonstances uniques qui

    lavaient fait surgir et qui ne se reproduiraient jamais plus.

    Yogaswmi agita les mains pour exprimer sa dsapprobation envers lhomme qui venait

    de lui rendre un culte. Puis il pressa ses mains tremblantes contre son cur en un gesteloquent et scria voix haute : Regardez ! Il est ici ! Dieu est ici ! Il est ici !

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    Pour quelques courts instants il ferma les yeux nouveau. Ces intermdes avaient

    probablement pour but de permettre au sens de ses dclarations de pntrer graduellement

    dans les esprits de ses auditeurs. Chaque fois que Yogaswmi fermait les yeux pourmditer la colonne vertbrale droite, les jambes croises, et le visage qui paraissait

    endormi mais qui tait pourtant suprmement veill il manait de lui une trange et

    majestueuse dignit, semblable celle du Bouddha.

    Le temps est court mais le sujet est vaste dit-il mi-voix avec une extrme gravit.

    Cette affirmation nigmatique signifiait peut-tre que le sujet, cest--dire lacomprhension de Dieu ou de la ralit, est vaste tandis que le temps dont nous disposons

    est tellement limit que nous ne devrions pas le gaspiller en des choses aussi accessoires

    que des rites et des crmonies.

    Il y avait une question que javais hsit poser mais qui tait importante pour moi ce

    moment : comment surmonter le dcouragement ? A peine eus-je formul cette questiondans mon esprit que Yogaswmi y rpondit instantanment. Voyons, quest-ce que le

    dcouragement ? Vous voulez dire le pessimisme, nest-ce pas ? Le pessimisme etloptimisme sont la mme chose. Ce sont les deux faces de la mme pice de monnaie.Vous ntes pas dans de meilleures conditions quand vous tes pessimiste quen tant

    optimiste ; pas plus que vous ntes dans de meilleures conditions lorsque vous tes

    optimiste quen tant pessimiste. En tant quils se refltent en joie et en chagrin,

    loptimisme et le pessimisme sont des angles diffrents sous lesquels vous envisagez lavie. Mais la vie nest ni lun ni lautre. Si vous regardez la vie exactement comme elle est

    et non sous un angle quelconque si vous la percevez exempte de cette dualit, alors

    elle nest ni pessimiste ni optimiste. Pendant quil parlait une dame entra, uneAmricaine dun certain ge qui enleva prestement ses sandales et se joignit nous en

    sasseyant sur le sol. Sa faon familire de sourire chaque personne prsente et sa

    manire affectueuse de saluer Yogaswmi indiquaient quelle devait venir frquemmenten visite la hutte.

    Quavez-vous donc fait ? lui demanda plutt gaiement Yogaswmi.

    Je suis alle au temple hindou qui est dans le voisinage. Cet endroit tait si paisible.

    Vous voulez dire le temple de pierre ? demanda Yogaswmi en riant. Vous tes alle

    adorer les dieux de pierre dans le temple de pierre ! Il ny a quun seul temple et cestcelui qui est en vous-mme. Et pour trouver Dieu vous devez connatre ce temple en

    vous-mme. Il nen existe pas dautre. Personne ne peut vous sauver !

    Et le Christ ? Et le Bouddha ? Ne peuvent-ils pas nous aider ? scria lAmricaine.

    Daprs son attitude il tait clair que sa question ntait pas motive par le dsir de

    dcouvrir des vrits, mais quelle tait plutt la raction, provoque par les remarques deYogaswmi, de ses susceptibilits religieuses blesses.

    Le Bouddha et le Christ se sont sauvs eux-mmes par leurs propres efforts. Par lasuite, les prtres se sont empars du fatras sans valeur et lont propag. Les prtres ont agi

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    comme des sots. Chacun pour soi dans cette affaire spirituelle. Ne croyez pas

    quelquun qui promet de vous aider. Personne ne vous aidera parce que personne nest en

    tat de le faire. Un autre peut vous indiquer le sentier mais cest vous qui devezaccomplir le trajet.

    Yogaswmi continua parler et nous lcoutmes avec une attention ravie, dvorantchaque mot et attachant un grand prix chaque moment pass dans cette cabane daspect

    misrable. Plusieurs personnes se tenaient debout maintenant lentre troite de la hutte

    qui devint vite encombre.

    Pourquoi venez-vous tous me voir ? Ctait une question qui sadressait chaque

    personne prsente et pas seulement aux derniers visiteurs. Je suis tout aussi sot quenimporte lequel dentre vous. Je cherche, je ttonne dans les tnbres, jessaie de

    comprendre. Je ne peux vraiment pas vous aider. Il nest rien que je puisse vous donner.

    Il nest rien que vous puissiez emporter dici. Personne ne croit que je suis un sot. Et jesuis cependant un sot.

    Mais non vous nen tes pas un lui jeta dun ton sec la dame amricaine avecimpatience, comme pour dmasquer sa fausse modestie. Peut-tre, remarqua

    Yogaswmi, suis-je un sot dune espce diffrente un sot qui admet volontiers la

    ralit de sa sottise.

    Yogaswmi est mort il y a quelques annes, mais ce quil a communiqu, de la manire

    dsinvolte et sans apprt qui le caractrisait, restera toujours des vrits vivantes et unesource dinspiration pour tous ceux qui lont rencontr. Lexprience davoir convers

    avec un matre vivant dans une mmorable entrevue fut pour moi bien plus instructive

    que la lecture dune quantit de livres relatifs lternelle sagesse spirituelle et

    philosophique.