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    De la lgitimation mdiatique

    la vridiction mdiatise : les stratgiesde la dontologie embarque dans lesmdias audiovisuels publics franais

    Yves CHEVALIER

    Professeur en Sciencesde lInformationet de la Communication,Directeur du CERSIC-ERELLIF, Rennes 2

    [email protected]

    La vrit sur Tchernobyl, Guerre du Golfe :les vrais enjeux, Les vrais responsables de lamort de Lady Di, Timisoara : le faux charnier, Lesvraies raisons de linvasion de lIrak, etc.DepuisThophraste Renaudot, le mtier de gazetier ou

    de journaliste peut par certains de ses aspects, entout cas par certaines des reprsentations que lonse plat en donner, ressembler une croisadesans fin des forces du vrai contre lobscurantisme.

    Les occasions de poser de nouveau laquestion de la vrit sont toujours lies des faits, des vnements , comme dans les exemplesde crises ci-dessus, mais trs rarement aufonctionnement ordinaire des mdias. Tout sepasse comme si, hors de ces situationsdramatiques ainsi cristallises, le problme de lavrit ne se posait pas. Modle hrit des

    Lumires, naissance de la classe des intellectuels,mergence de lopinion publique, monte enpuissance des morales professionnelles et de ladontologie, rdaction de la Charte des

    journalistes, toutes ces strates de lhistoire dunmtier aux contours flous (Ruellan, 1993)accordent la question de la vrit une placeambigu.

    Notre propos nest pas ici den retracer lestapes, mais danalyser de prs commentaujourdhui merge, ou rmerge cette question, la faveur des approches socio-constructivistes

    de linformation et de lopinion. Lide que nousproposons dexaminer est la suivante : cest uneconception relativiste du journalisme qui tend

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    simposer aujourdhui, drape dans une forme de modestieprofessionnelle feinte et mettant en uvre une vulgate morale simpliste.

    Cette posture morale saccompagne dun effacement tout le moinsdune dilution des instances auctoriales ou ditoriales. Cette conceptionest en fait le rsultat dun aspect de la marchandisation de la presse (savoir le mode de relation au public) et dun phnomne notre avis enmergence : la mise en scne au quotidien de la question de la vrit travers des dispositifs mdiatiques pseudo-dontologiques quipermettent, de fait, dvacuer la question de lobjectivit dans la relationdes faits. En effet, selon nous, au cur de la problmatique de la vrit,il y a certes les faits (Gauthier, 2003), mais cest linstance auctoriale,dans ses composantes multiples, qui va en assumer la mise en visibilit,et qui, de fait, pourra en rpondre. Cest le travail de cette instanceauctoriale, matire minemment plastique, que nous nous proposons

    dexaminer.Nous dcrirons deux modalits de ce travail travers lobservation

    dun terrain mdiatique spcifique, la tlvision franaise. Nousmontrerons comment la tlvision, depuis ses origines , fait coexister,selon les occasions, une logique dacteurs et une logique de dispositifs.Enfin, nous examinerons travers un exemple actuel de la tlvisionfranaise publique LHebdo du Mdiateur (HDM) comment, enmanire de rponse sociale globale au problme de la vrit, se met enplace ce que nous appellerons la dontologie embarque . Lorsquenous crivons la tlvision , nous nignorons pas quil sagit l dundispositif, au sens rigoureux et foucaldien du terme, cest--dire unensemble htrogne complexe, technique, institutionnel, juridique,

    discursif et symbolique. De mme, lorsque nous crivons lesjournalistes , il ne nous chappe pas quon na pas affaire l une classe,mais un groupe, htrogne lui aussi, et des statuts divers. Ceuxdont nous parlerons ici, ce sont les journalistes, les animateurs et lestechniciens de la tlvision franaise o nous prenons nos exemples.

    De la lgitimation auctorialeau contrle des dispositifs mdiatiques

    De trs nombreux travaux ont dcrit et dcrivent les stratgies desacteurs du champ journalistique. Quil sagisse de dcrire les volutionset les hybridations des mtiers de linformation, de pointer lirruption

    des figures , ou de montrer comment ces profils dacteurs et dauteursse diluent autour des ambiguts (Ruellan, 1993 ; Du Roy, 1992 ; Breton,1997 ; Wolton, 1989) de la notion mme dinformation data, newsou

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    knowledge ? dans des dispositifs mdiatiques ou professionnels

    (Chevalier, 1999), certains (Palmer, 2000) travaillant dans une approchecomplexe la notion de valeur de linformation. Denis Ruellan a bienmontr, notamment, comment, investie dune vritable mission de compensation des dysfonctionnement de la dmocratie (Ruellan, 1992), laprofession, en charge de linformation de la socit, identifie trs souventexigence de vrit et principe dmocratique, et en vient tout naturellement , rduire lune lautre. Le dbat le mot est faible qui a oppos Daniel Schneidermann, le petit soldat du mta-journalisme ,comme il se plat se nommer lui-mme, et le groupe Bourdieu-Halimi,en a constitu un piphnomne.

    Lauteur et linstance auctoriale

    Pour Michel Foucault, lauteur cest le moment fort delindividualisation (Foucault, 1969a). Le systme de valorisationauctoriale prsuppose la cohrence, cest--dire la rfrence un corpusvirtuel valid, que lon nomme quelquefois uvre . Lauctorialit cestla positivit, comme dit Foucault, cest--dire lunit travers le temps (Foucault, 1969b), condition de ralit pour des noncs. Et ce, quilsagisse au fond dun individu, dune quipe de rdaction, cest--diredune auctorialit diffuse, dont la figure de lditorialiste, dans sadistinction mme, affirme sinon lunit, tout le moins lexistence commeauteur.

    Dans ce texte de 1969, Foucault stigmatise le thme de lhomme etluvre, alors favori de lhistoire littraire. Mais au-del de cette critique

    date, Foucault note que la disparition de lauteur caractrise lcriturede son temps. Quimporte qui parle ? , crit-il, citant Beckett. Cest bienl toute la question. Dans le domaine de linformation, il est vital desavoir qui parle. Savoir qui parle, ce nest pas seulement mettre un nomsous un texte, cest pouvoir identifier ou reconnatre les mcanismesdinvestiture, de dlgation et de lecture-criture des faits. Leffacementesthtique de linstance auctoriale nest pas de mise ici.

    Confronte cette question de la cohrence, la tlvision vacomprendre trs vite quelle peut fabriquer de la lgitimit, quelle peutinstituer diffrentes postures lgitimes, et va ainsi mettre en scne, dsses origines, et sous son propre sceau, trois figures majeures : lditorialiste,modle directement hrite de la presse crite ; lanimateur, craturehybride et originale la fois de la tlvision et lexpert, figureproblmatique et conflictuelle. ces figures, aisment reprables mme

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    si on les trouve souvent combines chez certains sujets, correspondent

    des dispositifs tlvisuels, des modes smio-pragmatiques originaux.Mais au-del dune typologie, cest la manire dinstituer ces figuresqui retiendra notre attention. Ainsi, comment la figure de lexpert faitlobjet dune construction ou dune reconstruction mdiatique. la basede cette construction, deux sources essentielles de lgitimit : dune part,lautorit scientifique ou politique, celle qui est construite par les pairs,par les traditions lectives1dune socit ; dautre part, la lgitimationmdiatique, la discrtion du monde mdiatique, voire de lopinion etde ses reprsentants (cette lgitimit-l est fonction de la matrise decertains dispositifs techniques et du statut quils procurent).

    Il est facile dimaginer que ces deux sources seront bien souventviolemment contradictoires, comme dans le cas de la controverseBourdieu-Schneidermann, ou de laffaire dite de la mmoire de leau 2.Linstitution tlvisuelle va donc mettre en place un jeu subtil sur lesinstances auctoriales et les formes dautorit, jouant tantt sur la traditionlective, donc les modes socio-discursifs valids socialement ; mobilisant dautres moments tout un arsenal mdio-smiologique pour crer detoutes pices une figure dexpert, en jouant notamment sur le choix desthmes dintervention. Nous avons montr dans un travail antrieur, travers lexemple dHaroun Tazieff, comment la tlvision reconstruisaitla figure de lexpert en une vritable tectonique des comptences .

    Ce qui nous semble intressant ici, cest cette manire profondmentambigu dont la tlvision traite la question de linstance auctoriale etde lexpertise. Foucault reprait dj, propos de lauteur en gnral, cequil appelle un anonymat transcendantal . Il arrive, crit-il, quon secontente deffacer les marques trop visibles de lempiricit de lauteur en faisant

    jouer, lune paralllement lautre, lune contre lautre, deux manires de lacaractriser : la modalit critique et la modalit religieuse.

    Cest bien de cela quil sagit ici : mobiliser, selon les cas, le caractresacr ou la dimension profane de lexpert ou de lauteur. La tlvisionva donc imaginer des outils smio-pragmatiques, les dispositifstlvisuels, les tropes mdiatiques (dispositifs scniques, cadrages,clairages, structuration de lcran, titulature, rle du public, etc.) pourmettre en uvre cette labilit des figures discursives. Daborddconstruire, ensuite reconfigurer3. La caractristique majeure de cesdispositifs sera lhybridation des formes, cest--dire pour parlertrivialement le mlange des genres linfini : varits et politique, ralit

    et fiction, information et divertissement, jeux et varits, socialit etindividualit4.

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    Pourquoi ces reconfigurations ?

    La raison qui en est officiellement donne est technique : aucuneprise de parole tlvise ne doit durer plus de 30 secondes. Lennui guette.Cest, dit-il, pour le bien de linterview et pour viter la fameuse languede bois que le journaliste interlocuteur recadre, relance, structure lepropos. Sans ngliger cette explication, mais en notant cependant quonfavorise ainsi lezappingintellectuel et quon stigmatise toute interactionexplicative dveloppe, il semble bien que lenjeu soit ailleurs. Cest lecontrle de linteraction et le contrle de linformation qui sont ici en

    jeu. Trs rares sont les ho mmes poli tiques ou les savant s quirevendiquent, concrtement, chaud, le contrle de leur communicationtlvisuelle. Le profil majoritaire des interactions sera celui que donneralmission, la plupart du temps irnique et fragmente, pour ne pas dire

    clate.Il est assez vident que cest prcisment un tel dispositif qui vafavoriser la langue de bois. En effet, le dispositif de lentretien cherche pousser linvit rvler quelque chose dinou, parler aux marges deson expertise, avoir un avis sur tout et nimporte quoi. Rien de plusnaturel, ds lors, pour lexpert ou lhomme politique de se retrancherderrire la thse officielle, le dernier propos tenu, la ligne affiche parles porte-parole, etc.

    La langue de bois, ce nest pas autre chose ici que la langue delautre , ce que lon ne veut pas ou plus entendre. Il reste au journalisteindlicat stigmatiser publiquement ce retour la langue de bois et lesoupon dillgitimit sinstalle. Les manifestations de connivence,

    dnonces par Halimi et lcole de Bourdieu, ne doivent pas faire oublierla ralit : une concurrence acharne et feutre tout la fois pour lecontrle de la mdiation lgitimante et du pouvoir intellectuel. Uneintelligentsia technicienne rassemblant des journalistes, des experts, desspcialistes des sondages reconfigurerait ainsi, au jour le jour, le dbatdmocratique et ses critres ontologiques et axiologiques.

    Au service de cette modalit, la multiplication des dispositifshybrides, la disparition de la plupart des missions dites politiques et linstallation de nouveaux dispositifs de contrle. Avec lexemplesuivant que nous allons examiner en dtail, nous avons affaire uneproposition de traitement global dun problme essentiel des mdias :la crdibilit. Ici, la tlvision va crer un dispositif dauto-lgitimation

    puissant et trs sophistiqu. Ce dispositif est destin accompagner en permanence le flux mdiatique.

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    La dontologie embarque ou la main sur le cur

    Nous avons dj eu loccasion de rflchir dans un texte antrieursur le rle jou par la citation et la dimension mtatlvisuelle dans cedispositif mdiatique que constitue HDM (Chevalier, 2000). La mise enscne de la parole offre bien sr ici le moyen privilgi de re-hirarchiserles valeurs respectives des discours, donc de redistribuer les cartes ducontrle de la mdiation, nous y reviendrons rapidement. Mais llmentessentiel de ce dispositif rside vraisemblablement dans cette ambigutmajeure entretenue entre une posture rflexive, distante, et une moralede lengagement, directement inspire du modle des comits dthique(Chevalier, 1999). Ces dispositifs dlibratifs ou pseudo-dlibratifs ontde nombreux points communs : ils constituent des mta-lieux parlesquels les socits cherchent rinjecter de la distance, de la profondeur

    de champ diraient les spcialistes de limage, facteur essentiel de lalgitimit sociale.

    Lmission LHebdo du Mdiateur

    LHebdo du Mdiateur appartient ce type de dispositifs. Saparticularit est dtre, si lon peut dire, un dispositif embarqu . Cest--dire que France 2, en loccurrence, intgre son architectureprogrammatique ce souci de lgitimation en prsentant, chaque samedi,une manire de bilan, dvaluation du travail informatif de la semaine.Tout se passe comme si, en dpit de lexistence du CSA5, la chanecherchait internaliser ses fonctions dontologiques, manifestant ainsi, tout le moins dans ses intentions, cette vaste aspiration la

    transparence qui sexprime un peu partout, comme le produitemblmatique de la demande sociale. LHebdo du Mdiateur a tprsent, partir de 1999, chaque samedi 13h15 sur France 2, par DidierEpelbaum jusquen juin 2000, et depuis lors par Jean-ClaudeAllanic.

    Voici comment ce dernier prsente sa mission ainsi que la chartergissant cette dernire, sur le site Internet de la chane publique : Entant que "mdiateur de la rdaction", je suis votre interlocuteur et votreinterprte auprs des journalistes de France 2. Instance indpendante lintrieurde la chane, je suis habilit recevoir vos remarques sur linformation diffusepar la chane, examiner vos suggestions ou vos plaintes. Ma mission est declarifier le travail de la rdaction et, le cas chant, de le critiquer et de corrigerles erreurs. Nous avons un rendez-vous hebdomadaire sur lantenne, le samedi

    13h15, o je vous donne la parole sur des thmes dintrt gnral et o jinviteles journalistes de France 2 rpondre vos critiques. La cration dun mdiateur

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    exprime la volont du service public dtre votre coute et de tenir compte devotre avis pour amliorer la qualit de son information. 6

    Structure de lmission

    Alimente par un ou plusieurs sujets, souvent deux7, chaquemission sorganise sur lalternance entre la citation tlvisuelle, dont lestatut est variable, les ractions de tlspectateurs parvenues lmissionpar courrier, tlphone ou mail, quelquefois filmes pour lmission, lesexplications ou justifications des journalistes de la rdaction de France 2et les cadrages ou recadrages de lanimateur.

    La citation, nous lavons not, joue dans cette mission un rlecomplexe8. Elle constitue loutil essentiel de ce laboratoire de la vrit quest HDM. Elle est dabord ce par quoi le scandale est arriv , si

    lon peut dire. Lmission procde une rediffusion systmatique desextraits qui ont suscit les critiques des tlspectateurs, dans une intentionclairement prsente comme quasi juridique : jugeons sur pices .

    Il nen demeure pas moins que leffet produit par ces rediffusions,dans un cadre qui sinscrit dans une continuit formelle totale avec le

    journal tlvis ( la diffrence par exemple de lexamen des faitscriminels dans une enceinte judiciaire, o tout est fait pour introduireau contraire la rupture formelle et la distance institutionnelle)9est asseztroublant et invite sinterroger sur laffirmation dindpendance dudispositif. La citation est aussi administre comme preuve dans unestratgie de justification (ce script est trs frquent dans lmission).Exemple : un tlspectateur reproche un parti pris dans le traitementdun dossier quelconque. Epelbaum ou Allanic vont mettre en scne,tranquillement, citations lappui, la preuve du contraire ou unerelativisation forte de la critique formule, et termineront en donnant laparole au journaliste auteur du reportage (ou au cadreur, ou au chef derdaction) qui dira combien linformation est difficile et le mtier expos.Le journaliste ajoutera quil est en outre possible quune contraintetechnique ou juridique (obligation de filmer en camra cache, obligationde mozaquer un personnage, ou prises de vues de nuit, etc.) ait tperue, tort, par certains tlspectateurs comme une intentioncommunicative particulire. Cest le script le plus frquent. Il apparatdonc que la citation nest jamais totalement exempte dune dimensionautopromotionnelle.

    Ajoutons cela que le dispositif de gigognage des images fait

    apparatre la citation sur fond dcran daccueil de LHebdo duMdiateur , qui est parfaitement isomorphe celui du JT, mettant ainsien vidence le mcanisme citationnel et la paratextualisation10.

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    Les ractions des tlspectateurs font, elles aussi, lobjet duntraitement trs particulier. Comme sous leffet dune juridicisation dudispositif, les propos des tlspectateurs sont prsents lcran, parcrit, avec un effet vidographique appel machine crire , commedactylographis par un greffier ou un policier lors dune dposition. Lalecture en voixoff, avec un lger diffr de ces propos, comme la signatureappose la fin, renforcent cet aspect juridique. Les grands tmoins(experts, politiques, responsables) sont trs rares. On prfre de beaucouplaisser la parole au tmoin indiffrenci que seul distingue le fait quil acrit au mdiateur. Cette prise de parole est parfois laborieuse, le tmoinest impressionn par le studio, par cette situation quil lui est donn devivre ; on le laissera nanmoins sexprimer sans intervenir, ni venir son aide. La spontanit est ici un gage prcieux de la lgitimit destmoins, donc de celle du dispositif. On voit ici se dessiner une procdure

    de lgitimation deux niveaux : linformation de France 2 et linstancequi la juge.

    Mme si les journalistes appels sexpliquer sont demble placsdans une posture mtatextuelle par rapport leur propre travail, il leurest extrmement difficile de dpasser cette approche pour aborder unniveau critique ou auto-critique. Dautant que cest sur des posturesdengagement et dimplication quils sont ici convoqus et attendus. Parailleurs, lanimateur les invite rarement dpasser ce stade delengagement. En effet, cest cette implication mme qui va constituer lemoteur essentiel de la lgitimation. Cela devient donc trs souvent unesorte de lecture explique , parfois dans le dtail, ce qui justifie, biensr, une nouvelle diffusion de lextrait. Le dbat na pas lieu, ne peut

    pas avoir lieu, parce quon exclut la logique discursive, et quon luisubstitue une morale de lagir professionnel, dont les questions, pardfinition, excluent les non-professionnels. Ce que Foucault appelait transcendance anonyme trouve ici une belle illustration. Cestlensemble des mtiers de linformation qui se trouvent chaque foisinterpells par la critique. Linstance auctoriale individuelle a disparuau bnfice du dispositif mdiatique, qui est complexe et qui ne peutavoir dtats dme. la notion de faute est substitue celled erreur (ventuellement corriger les erreurs , dit la charte delmission).

    Il reste enfin au mdiateur tirer la conclusion, immuable oupresque : nous vous donnons la parole, nous sommes vigilants, la

    tlvision (publique) nest pas oublieuse , nous ferons encore mieuxla prochaine fois, notre seul souci cest la vrit, ce mtier dinformer estdifficile, et surtout, vous, les tlspectateurs, vous exercez une veille

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    citoyenne. Et grce cette veille citoyenne, nous construisons ensemblela vrit. Il semble que cette dernire partie du message est la plus

    importante. Pour que cette procdure de lgitimation ait un sens, pourquelle fonctionne, il est ncessaire quun modle particulier detlspectateur soit affirm : un tlspectateur averti, responsable et,comme on dit aujourdhui, citoyen . Cest le modle de lhomme desLumires. Comme bien souvent, ces procdures de lgitimation sontcomplexes et combinent plusieurs niveaux. On a affaire uneinterlgitimation. Loin davoir le sentiment dtre instrumentalis, letlspectateur se trouve investi positivement dun rle socio-discursif,quasi politique. Il est le garant de lobjectivit journalistique !

    Ce qui frappe donc dans cette mission, cest quon a affaire une monophonie clate qui se prsente sous les atours dune polyphonie.Se joue dans cette mission, chaque semaine, la scne fondatrice de la

    dmocratie mdiatique, avec ses rles, rgle comme un spectacleantique.

    La vrit est dans le flux ou limposture constructiviste

    Notre analyse ninvalide pas ce nest en aucun cas son objectif une relle dimension rflexive de ce dispositif mdiatique. Il est assezclair que, tel quil est conu, cest--dire regard objectif ou souhait telsur les missions dinformation de la chane par une instance interne la chane, la bonne foi si lon peut dire des acteurs nest pascontestable. Ce que nous souhaitons mettre en vidence ici, cest que cedispositif participe dune stratgie qui le dpasse de beaucoup, stratgie

    qui na pas pour objectif la vrit ou lobjectivit, mais la lgitimit. Ilsagit, pourrait-on dire, dune initiative de transparence dans unestratgie dopacit.

    Ce que met en vidence cette mission, travers la lecture que nousen proposons, cest que la rflexivit, ft-elle vraiment partage,nimplique pas ncessairement une posture critique. Lmission nestquune mise en scne assez nave parfois, il faut bien en convenir dela posture critique, une mise en scne quasi fictionnelle et partage delespace/temps de la dlibration, avec dlibr, jury, public et verdictimmdiat. Ce dispositif apparat comme une mtadimension du systmeinformationnel dans sa totalit, cest--dire comme vritable outil de ladiscursivit. Ces mdiateurs, et mdiateurs de mdiateurs, manifestent

    seulement le souci de la distance dlibrative et lactualisent dans undispositif technique. Mais ce faisant, ils contribuent aussi la virtualiser,

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    cest--dire croire et faire croire quon peut techniquement affranchircette distance dlibrative de ses contraintes despace et de temps, comme

    on y parvient pour linformation (ubiquit et permanence). Si lestechniques de communication peuvent abolir lespace et redessiner letemps, est-il si vident quelles puissent de mme reformater les cadresfondamentaux de la circulation du sens social ?

    Quant lide selon laquelle lobjectivit journalistique ne peut treque la construction dmocratique et vigilante de linformation, elle trouvesa source dans la mme imposture que celle qui consiste dire que lacitoyennet est luvre construite par les citoyens, que cest le choix destlspectateurs qui fait les programmes. Les vulgates constructivistes,notamment en sciences de linformation et de la communication, sontfriandes aujourdhui de cette fausse modestie thorique qui aboutitpresque toujours au relativisme thorique et mthodique, meilleur alli

    dune posture no-librale de linformation. Le journaliste se trouve endfinitive dpossd de sa fonction auctoriale, de sa fonction de lecteuret dinterprte. Tout se passe comme si les faits ntaient, travers lemdia tlvisuel, que traits mcaniquement, et comme si le journalistentait l, au fond, que pour rguler le flux et oprer une sorte de contrlede qualit.

    Non la camra nest pas quun filtre technique, les mots ne sont pasque des units lexicales. Il y a mme un certain cynisme investir letlspectateur dun pouvoir illusoire de contrle sur un dispositif dontil est par avance exclu puisquil est dclar principalement technique

    Notes

    1. Par traditions lectives, nous entendons lensemble des pr ocdures dlection, dedistinction et de lgitimation quune socit dmocratique accor de certains de sesmembres dans le champ de la politique, du savoir ou des institutions.

    2. Cette affaire se droule en deux pisodes (1989 et 1997). Le professeur Benveniste avaitalors cherch comparatre devant le tribunal de lopinion, pour ses travaux sur leshautes dilutions, plutt que devant ses pairs. Ce ntait pas tant le pr oblme de lavulgarisation scientifique qui se trouvait pos l que celui des modes de lgitimationou de validation des travaux scientifiques. Le quotidien Le Mondesest largement faitcho de cette controverse.

    3. Des exemples clbres surgissent ici : un prsident de la Rpublique jouant delaccordon, un premier ministre poussant la chansonnette, un scientifique de r enomen compagnie de danseuses dun cabaret bien connu, etc.

    4. On ne peut viter compltement de fournir quelques r epres chronologiques, mme siceux-ci doivent tre considrs avec prcaution. On peut situer vers le milieu des annes1980 la disparition du modle traditionnel de lmission politique polmique, et sonremplacement par des dispositifs irniques manifestant la prise de contrle des

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    mdiations par le mdia tlvisuel. Pour des r epres plus prcis, on se reportera Chevalier, 1999. Notons que, par essence mme, la tlvision fait cohabiter des modles

    divers, anciens et nouveaux.5. Conseil suprieur de laudiovisuel, char g de faire respecter les cahiers des charges et

    les lois et rglements par les socits de tlvision et de radio.

    6. (http://www.france2.fr/mediateur.htm)

    7. Voir en annexe une liste des questions abordes, telle que la fournit le site de France 2.

    8. On a pu ainsi noter le caractre exgtique et quasi sacerdotal de ces mcanismescitationnels.

    9. Didier Epelbaum venait sasseoir sur le plateau du JT, face la prsentatrice ou auprsentateur du JT, cest--dire dans le mme dcor, le mme cadre, avec comme seulesignature lincrustdu nom de lmission, sans coupur e publicitaire, comme pour affirmerprogrammatiquement la continuit smantique et discursive.

    10. Sur ces concepts, voir Chevalier, 1999, pages 67 et s.

    Rfrences bibliographiques

    BRETON Philippe (1997), Lutopie de la communication , Paris, La Dcouverte.

    CHEVALIER Yves (1999), Lexpert la tlvision. Traditions lectives et lgitimit mdiatique ,CNRS ditions.

    CHEVALIER Yves (2001), Le travail de la citation mtatlvisuelle. La mtatlvision est-ellesoluble dans la glose et lexgse ? , Actes du XIIe Congrs Inforcom, Paris, Janvier 2001.

    DU ROY Albert (1992), Le serment de Thophraste , Paris, Flammarion.

    FOUCAULT Michel (1969a), Quest-ce quun auteur ? , Bulletin de la socit franaise dephilosophie, n3.

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    PALMER Mickael (2000), Linformation, cest largent du temps , in Vitalis, Ttu, Palmer,Castagna (eds),Mdias, temporalits et dmocratie , ditions Apoge.

    RUELLAN Denis (1993), Le professionnalisme du flou. Identit et savoir-faire des journalistesfranais, Grenoble, Presses Universitaires de Grenoble.

    WOLTON Dominique (1989), Les mdias, maillon faible de la communication politique ,Herms, n4, ditions du CNRS

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    Annexe

    Sujets abords dans LHebdo du mdiateur . Extraits du rapport annueldu mdiateur de France 2(saison 2000/2001)

    02/09/2000 Drame du sous-marin russe "Koursk" / Accident du Concorde.

    09/09/2000 Hausse du prix des carburants / Fautes de franais dans les journaux.

    16/09/2000 OPEP : choix du mot "palabre" / Choix des images : enfant bless en Albanie /Adolescents et cigarettes.

    23/09/2000 JO Sydney : chauvinisme, faux duplex, dopage des Roumains / TVA etrestaurateurs.

    30/09/2000 Rfrendum et caricatures / Accident rallye de lYonne.

    07/10/2000 Mort du petit Mohammed : fallait - il diffuser les images ?

    14/10/2000 Proche-Orient : serions-nous pro-palestiniens ?

    21/10/2000 Proche-Orient : serions-nous pro-israliens ? / Lantismitisme.

    28/10/2000 Pilule du lendemain, efficacit du prservatif, pilepsie / Sondages politiques :objectivit, crdibilit de linformation? Erreurs de gographie.

    04/11/2000 Dopage et procs Festina : indpendance des journalistes par rapportau Tour de France.

    11/11/2000 Vache folle et farines animales.

    18/11/2000 Les minorits ethniques : faut-il instaurer des quotas ? / La mort de ThodoreMonod et le Paris-Dakar.

    25/11/2000 Les lections amricaines.

    02/12/2000 Les tortures en Algrie.

    09/12/2000 ducation nationale : le livre dAgota KRISTOF / Les violences lcole /La condamnation dun professeur.

    16/12/2000 Politique et mlange des genres : information ou spectacle ?

    23/12/2000 Nol et Halloween : ftes commerciales ou religieuses ? / Btisier : mto,fautes de franais, erreurs de gographie.

    13/01/2001 J-C Mitterrand : caution et ranon, invitationde Gilbert Mitterrand au 20 heures /Le dcompte des temps de par ole pour les candidatsaux municipales.

    20/01/2001 Violence des images : excution de jeunes Palestiniens.Drogue Lisbonne / Eclipse de lune : parisianisme et astrologie.

    27/01/2001 Dpnalisation du cannabis /Guerre des Balkans et uranium appauvri.

    03/02/2001 Affrontements de bandes rivales la Dfense.

    10/02/2001 Tremblement de terre en Inde et au Pakistan : hirarchie de linformation.Finale handball sans diffusion du podium.

    17/02/2001 Sport et publicit clandestine ?

    CHEVALIER 1 3/17/07, 1:50 PM143